UB.U Doyen - l’art de la guerre*
(*ceci est une œuvre de pure fiction, toute ressemblance avec etc. ne serait que purement fortuite, je le jure !)
La fréquentation des collègues les plus inspirés (sur un plan littéraire, s’entend) livre de délicieux enseignements sur l’art de la conquête du pouvoir. Nul doute que si Sun Tzu avait été des nôtres il aurait certainement été élu triomphalement à la tête de notre noble et vénérable institution.
Comme le meilleur moyen de remporter une guerre et d’éviter soigneusement toute bataille, le premier temps de la conquête du pouvoir consiste toujours à étouffer toute velléité démocratique de contestation. Sans aller jusqu’à recourir à des méthodes poutiniennes d’élimination physique des opposants, de solides arguments peuvent être employés pour contraindre les plus imprudents à la réflexion.
Voici quelques éléments méthodologiques, et de savants éléments de langage, qui permettront de calmer les ardeurs des futurs candidats aux élections, l’idéal étant bien entendu de les utiliser tous, dans un ordre ou dans un autre.
1° Je suis partout. Même si cela est faux (surtout d’ailleurs si cela est faux) il est particulièrement important de dénier à son adversaire sa capacité à savoir dissimuler sa volonté de briguer les suffrages. Vous pensiez me « surprendre », et bien pas du tout ! Non seulement il faut nier l’effet de surprise, mais il faut enfoncer immédiatement le clou en prétendant le savoir « depuis plusieurs semaines », i. e. depuis le départ. L’affirmation fait alors planer un soupçon de pouvoirs surnaturels, ou plus prosaïquement, de traitrise dans l’entourage proche.
2° Eloge des principes. Comme le coupable qui commence sa phrase par un vibrant « je vous le jure », UB.U commencera par clamer son amour de la démocratie et de ses rites (les élections, vertueuses par principe puisque lui-même en est issu), et louera les valeurs de la liberté. Mais en bon connaisseur des fondements constitutionnels du principe de responsabilité, il rappellera à l’intéressé.e que la responsabilité est le corollaire de la liberté, que tout acte à des « conséquences » et que chacun doit « assumer » les suites de ses « choix et de ses actions ». Avec un peu d’habilité sémantique, il sera même possible de suggérer, par une fine formule, que pour être véritablement libre de ses choix il convient d’être en mesure d’en assumer pleinement les conséquences, ce qui n’est pas nécessairement le cas lorsqu’on risque de se retrouver avec un couteau planté dans le dos dès la tombée de la nuit !
3° Imprudence. Une fois achevés ces rapides préliminaires, les choses sérieuses peuvent commencer, avec les mises en garde liées à l’expérience (dont l’intéressé.e manque cruellement, en tant que « novice »), sur un ton bonhomme, sur les risques liés à toute campagne électorale, sur l’ « énergie » qu’on y laisse, sur les coups qu’on peut prendre et les « cicatrices » qu’on peut en conserver, sur les « sourires qui se figent ». La description de ce climat anxiogène (ce qui occulte évidemment les synergies qui peuvent apparaître, l’élaboration d’un programme et de projets pour l’institution, la constitution d’une équipe et d’une dynamique de groupe, les rencontres avec des collègues méconnus) débouche alors immédiatement sur les premières menaces, bien entendu toujours à mots couverts et dans l’intérêt bien compris de l’intéressé.e : la campagne peut faire cesser les « collaborations » anciennes, et, si la victoire n’est pas au rendez-vous, elles peuvent même conduire à l’isolement, voire à des « humiliations » !
Le risque est alors que cette candidature sur une « autre liste » ne déstabilise l’institution, ne constitue un véritable « séisme » et ne fasse éclater la belle unité actuelle qui se fait derrière la personnalité éclairante du grand leader charismatique. Elle risque de placer les « amis communs » devant un vrai conflit de légitimité, comme dans un divorce, placés dans un « abîme de perplexité ».
4° Trahison. La stratégie du « ou avec moi, ou contre moi » est assez classique ici pour qui ne peut imaginer ne pas être nécessairement au centre de l’échiquier. Confondant « diversité » et « hostilité », une candidature sur une autre liste est nécessairement traitée comme une déclaration de guerre personnelle, une attaque dirigée contre la personne d’UB.U, pire, une « critique » !
La trahison institutionnelle était déjà grave, mais voici le pire : la trahison personnelle, la « déloyauté » de la démarche qui consiste à fomenter la constitution d’une liste sans en avoir reçu l’autorisation, la « déception » éprouvée, l’ingratitude alors qu’UB.U avait toujours « soutenu » l’intéressé.e, lui rappelant au passage qu’ayant siégé dans la plupart des jurys l’ayant recruté, il/elle lui doit tout. Et qu’il pourrait éventuellement lui en coûter dans l’avenir, évidemment !
5° Menaces. C’est l’heure du coup de grâce. L’intéressé.e étant désormais à bonne température, il est temps de passer aux choses sérieuses. Il n’est pas inutile ici de rappeler à l’imprudent.e que sa carrière n’est que « naissante » (pour emprunter un élément de langage du même auteur, employé quelques années plus tôt pour tenter de s’opposer à la désignation d’un.e autre collègue à la tête d’un autre centre de recherche), de sous-entendre évidemment qu’elle pourrait donc subir rapidement un malencontreux ralentissement.
6° Promesses. A l’instar du pompier pyromane ou du conducteur de baudet alternant le bâton et la carotte, l’usage des menaces, voilée ou non, n’est véritablement efficace que s’il s’accompagne de promesses de jours meilleurs, ou des petits avantages que l’institution (et son incarnation luminescente) sait réserver à ses bons éléments, notamment des « missions » dans des pays accueillants, et à des périodes favorables, qui pourraient être octroyées.
6° Magnanimité. Il est ici important que le dernier « considérant » du jugement soit formulé sous forme interrogative, pour laisser au destinataire le temps de la « réflexion » qu’on peut d’ailleurs lui souhaiter « bonne », maintenant qu’il/elle est pleinement informé.e des tenants et des aboutissants de sa candidature.
Il est alors temps, comme dans toutes les bonnes procédures de conciliation, de proposer de poursuivre le « dialogue » en contactant un tiers qui, appartenant par ailleurs à la même caste que l’impertinent (même sexe, même statut, même génération) saura sans doute lui faire entendre raison.
A bientôt pour la suite de notre roman électoral !