La Cour de cassation vient de publier sur son site internet un nouvel arrêt concernant la mise en cause de la responsabilité civile des laboratoires fabricant les vaccins anti hépatite B et accusés de provoquer, chez certains patients, l’apparition de poussées de scléroses en plaques (Civ. 1re, 29 mai 2013, pourvoi n° 12-20.903, arrêt n° 544).
On se rappellera qu’en septembre 2012 (Civ. 1re, 26 septembre 2012, n° 11-17.738) la première chambre civile de la Cour de cassation avait reproché à une Cour d’appel d’avoir refusé de donner raison à une victime qui avait développé les premiers signes d’une poussée quelques jours seulement après une injection, sous prétexte que le rapport bénéfice/risque de la vaccination n'a jamais été remis en question, que le défaut de sécurité objective du produit n'est pas établi et que sa seule implication dans la réalisation du dommage ne suffit pas à mettre en jeu la responsabilité du producteur.
Plusieurs interprétation de cette décision avaient pu être données : certains y avaient vu la consécration d’une approche désormais très concrète du défaut, qui pourrait s’apprécier différemment, pour un même produit, d’une affaire à l’autre, d’autres au contraire voulaient croire que la Cour de cassation allait enfin se décider à obliger clairement les juges d’appel à considérer comme défectueux le vaccin dès lors que, dans un temps voisin de l’injection, la victime avait développé une poussée et ce alors qu’aucune autre explication connue ne pouvait être fournie.
Mais pour en être certain, il fallait attendre que cette orientation se confirme, et de préférence plus nettement encore, et que la Cour de cassation prenne ses responsabilités en affirmant que certaines circonstances doivent conduire le juge à condamner les laboratoires. On attendait donc que la Cour de cassation pose de véritables règles probatoires allant au-delà des simples présomptions de fait permettant la preuve du lien de cause à effet et du défaut.
Mais rien n’y fait, et la Cour de cassation refuse de franchir le pas pour s’en tenir à sa ligne actuelle, difficilement compréhensible déjà pour les observateurs les plus avertis de la jurisprudence, et totalement absconse pour le citoyen non juriste.
Qu’on en juge.
La Cour affirme d’abord que « si la responsabilité du fait des produits défectueux requiert que le demandeur prouve le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, la participation du produit à la survenance du dommage est un préalable implicite, nécessaire à l’exclusion éventuelle d’autres causes possibles de la maladie, pour la recherche de la défectuosité du produit et du rôle causal de cette défectuosité, sans pour autant que sa simple implication dans la réalisation du dommage suffise à établir son défaut au sens de l’article 1386-4 du code civil ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage » …
La victime doit donc prouver « la participation du produit à la survenance du dommage » (ce qui renvoie certainement à l’exigence de causalité), condition qui ne doit pas être confondue avec la « simple implication dans le dommage » (ce qui fait certainement référence à la simultanéité de la vaccination et de la poussée).
Le fait que la poussée soit apparue dans un temps voisin de la vaccination ne signifie donc rien en lui-même, en l’absence de preuve de la « participation du produit à la survenance du dommage » qui constitue un « préalable implicite » aux exigences posées par la loi.
Retour à la case départ donc car en l’absence de nouvelles découvertes scientifiques, on ne voit pas comment les victimes pourraient être indemnisées …
La lecture des motifs retenus en appel, et de leur réception par la Cour de cassation, est en revanche plus intéressante car la Haute juridiction y livre sa vision du « bon arrêt d’appel » bien motivé : il s’agit, pour reprendre les propres observations de la Cour, de se prononcer « non pas en considération de l’absence de preuve scientifique, mais à la fois par des observations d’ordre général tendant à la démonstration du caractère positif du rapport bénéfice/risque de nature à exclure la corrélation entre la vaccination et la survenance de la maladie et au regard de l’ensemble des éléments propres à la patiente ».
Dans cette affaire, la Cour d’appel avait en effet retenu plusieurs éléments pour justifier la mise hors de cause du Laboratoire, mêlant habillement des arguments scientifiques d’ordre général (absence d’arguments médicaux et épidémiologiques pertinents), des considérations médicales particulières (un oncle ayant développé une maladie auto immune pouvant éventuellement laisser penser qu’il y aurait une sorte de prédisposition familiale) et des données probatoires (la simultanéité entre la vaccination et les premiers signes de l’atteinte neurologique n’était attestée que par la victime elle-même, le diagnostic n’avait été posé que deux ans plus tard, interdisant tout rapprochement pertinent, la carnet de vaccination ne précisait pas les doses de produit administrées).
Conclusions.
Tant que l’état des connaissances scientifiques n’aura pas progressé dans le sens de la démonstration de la « participation » (avérée scientifiquement) du vaccin aux poussées de scléroses en plaques, seules des présomptions « propres à la victime » graves, précises et concordantes pourront faire pencher la balance du côté des victimes, les juges ne devant pas se contenter de simples coincidences.
Sur un plan strictement juridique et institutionnel, on ne peut pas véritablement reprocher à la Cour de cassation de s’en tenir à cette ligne de conduite très prudente qui exploite a minima les marges d’interprétation de la loi (sur la responsabilité du fait des produits défectueux) sans aller jusqu’à la violer ouvertement.
On regrettera simplement que la Cour de cassation ait perdu avec le temps de son audace : les juristes se souviennent en effet que c’est grâce à elle qu’à la fin du dix-neuvième siècle l’invention du principe de responsabilité du fait des choses, en 1896, allait contraindre le Parlement à adopter la loi sur les accidents du travail, en 1898, ou que c’est encore grâce à son coup d'éclat, en 1982, dans l'arrêt Desmares que fut adoptée la loi du 5 juillet 1985 relative à l’indemnisation des victimes d'accidents de la circulation.
Mais il est vrai qu’aujourd’hui l’audace semble plutôt du côté du Conseil d’Etat qui a indemnisé les victimes d’aléas thérapeutiques, en 1994, provoquant l’adoption de la loi Kouchner du 4 mars 2002, inventé la présomption de contamination au bénéfice des victimes contaminées par le VHC à la suite de transfusions sanguines, en 2001, provoquant là encore l’intervention du Législateur, et, récemment, obtenu de la CJUE le droit de maintenir sa jurisprudence Marzouk pour les dommages causés par des produits de santé simplement utilisés par les hôpitaux publics, là où la Cour de cassation renonçait au contraire en imposant la preuve d’une faute commise par le médecin.
Alors, Mesdames et Messieurs du Quai de l’Horloge, Haut les cœurs !